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Vitamine K et maladie hémorragique du nourrisson

Améliorer le statut de la vitamine K chez les enfants allaités en supplémentant la mère
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Vitamine K et maladie hémorragique du nourrisson

Vitamine K deficiency and hemorrhage in infancy. FR Greer. Clin Perinatal, vol 22, n°3, 759-76, 1995.

La maladie hémorragique du nourrisson par carence en vitamine K reste un problème. Même dans nos pays, les modalités d'administration de la vitamine K à titre prophylactique restent mal étudiées et controversées. Le premier rapport rattachant ce type de pathologie à la carence en vitamine K a été publié en 1929, mais ce n'est que dans les années 50 que le mécanisme d'action de la vitamine K a été clairement démontré. Dès cette époque, on a montré que l' administration de vitamine K soit à la mère en fin de grossesse, soit à l'enfant peu après la naissance, pouvaient abaisser la prévalence de la maladie hémorragique. L'Académie Américaine de Pédiatrie a donc recommandé l' injection prophylactique de 5 mg de vitamine K à tous les nouveau-nés ... et apparurent alors les premiers rapports de kernictère relié au don de vitamine K, en raison dela compétition pour la liaison aux protéines plasmatiques entre bilirubine et cette vitamine, donnée sous forme de ménadione. En conséquences, les médecins cessèrent de l'utiliser. En 1961, une autre forme de vitamine K, la phylloquinone, était disponible, et on a de nouveau recommandé son administration à la dose de 0,5 à 1 mg par voie parentérale, ou de 1 à 2 mg per os.

Des rapports avaient fait état d'une fréquence beaucoup plus élevée de cette pathologie chez les enfants allaités. Classiquement, les troubles hémorragiques surviennent entre J2 et J10 chez des enfants qui n'ont pas bénéficié d'une prophylaxie ; les hémorragies intracrâniennes sont rares ; les hémorragies se révélent essentiellement par des ecchymoses, des saignements digestifs, ou des saignements au niveau du cordon ou de la circoncision. Le don de vitamine K amène une guérison rapide et sans séquelles. Mais il existe une autre forme de maladie hémorragique, dite tardive, et beaucoup plus sévère. Elle survient presque exclusivement chez les nourrissons allaités qui n'ont pas reçu de vitamine K, et/ou qui souffrent de troubles connus pour induire en eux-mêmes une carence en cette vitamine. Dans cette forme, les hémorragies intracrâniennes sont fréquentes, le taux de mortalité et de séquelles neurologiques est élevé. Dans un rapport récent portant sur 131 cas survenus entre 1970 et 1991, le début des troubles hémorragiques survenait à 5,6 ± 3,3 semaines ; 35 enfants avaient reçu de la vitamine K per os à la naissance, et 5 en avaient reçu par voie IM ; 118 enfants étaient allaités ; 55 enfants souffraient d'une maladie hépatique ou d'une malabsorption ; 82 enfants ont fait une hémorragie intracrânienne, 18 enfants sont décédés, et 27 ont présenté des séquelles neurologiques définitives. Il existe une troisième forme de maladie, qui est la plus rare. Elle survient chez les enfants de femmes traitées pour épilepsie (le plus souvent par barbituriques ou hydantoïne) ; les hémorragies surviennent dès J1, à n'importe quel endroit du corps. Ces cas répondent à un traitement par vitamine K, mais on ignore encore exactement quel est la raison exacte de ce type d'hémorragies.

On recommande actuellement un apport quotidien de 5 µg/jour de vitamine K pendant les 6 premiers mois, et de 10 µg/jour pendant les 6 mois suivants. Les enfants allaités reçoivent nettement moins que ces doses. Le taux de vitamine K dans le lait humain est très variable, car il dépend des apports alimentaires maternels. Pour couvrir les besoins estimés d'un nourrisson, celui-ci devrait absorber 2 à 5 litres de lait maternel. Une étude a montré que les apports en vitamine K d'enfants allaités pendant les 26 premières semaines allaient de 0,55 à 0,75 µg/jour. Par contre, les apports des enfants nourris au lait industriel allaient de 45 à 55 µg/jour, en raison de la supplémentation des laits industriels, ce qui est très supérieur aux besoins.

Diagnostiquer une carence en vitamine K

Les facteurs de la coagulation

Jusqu'à récemment, les tests portant sur le fonctionnement des facteurs de la coagulation vitamine K dépendants étaient le principal moyen d' appréciation de la carence en cette vitamine (temps de prothrombine, temps de thromboplastine...). Toutefois, ce mode de mesure est compliqué chez le nourrisson par le fait que les taux plasmatiques « normaux » de ces facteurs ne représentent que 30 à 60% des taux adultes, ces derniers n'étant atteints qu'entre 2 et 12 mois selon les facteurs. Des techniques plus récentes permettent maintenant une meilleure appréciation du statut de la vitamine K.

Dosage de la vitamine K1

L'on sait maintenant doser la phylloquinone dans le plasma, les selles ou le lait humain. Ces dosages ont permis de montrer que le taux plasmatique moyen de la vitamine K chez les nourrissons était de moins de 0,3 ng/ml (> 0,5 ng/ml chez les adultes). Toutefois, les enfants étudiés ne présentaient aucun signe clinique de carence en vitamine K. D'autres méthodes seraient utiles pour détecter les carences « sub-cliniques ».

Anomalies protéiques en rapport avec une carence en vitamine K

L'on a récemment décrit diverses anomalies touchant la prothrombine, et reliées à une carence en vitamine K. La compréhension du mécanisme d'action de la vitamine K permet de comprendre la raison de ces anomalies. Ce n'est que dans les années 70 que l'on a observé que le plasma de personnes traitées par coumarine contenait une protéine similaire à la prothrombine, mais dépourvue de son activité biologique en raison de son incapacité à se combiner aux ions Ca. Cette fixation des ions calcium s'effectue au niveau d 'un acide aminé : l'acide ?-carboxyglutamine. Or, le précurseur de la prothrombine contient une dizaine de sites « acide glutamique », qui seront carboxylés grâce à une enzyme (la glutamyl carboxylase) dont le co-facteur indispensable est la vitamine K. Le nombre de sites carboxylés par molécule de prothrombine reste du domaine des spéculations ; il est possible que le degré d'activité biologique soit fonction du nombre de ces sites ; une étude ayant porté sur des molécules de prothrombine dont 20% des sites n'étaient pas carboxylés a montré qu'elles avaient une activité physiologique sub-normale.

4 méthodes ont été décrites pour mesurer la prothrombine anormale (dénommée PIVKA-II dans cet article) chez les nourrissons, mais une seule est couramment utilisée : celle qui fait appel à une détection par anticorps spécifique (méthode ELISA). Des études ont montré que la PIVKA-II est abaissée à J4-J5 chez les enfants qui ont reçu de la vitamine K per os à la naissance. Cependant, des études japonaises ont montré que le don per os de vitamine K à la naissance n'avait pas d'impact significatif sur les taux sériques de PIVKA-II des enfants, qu'ils soient allaités ou nourris au lait industriel. Des études hollandaises ont recherché la PIVKA-II chez des nourrissons exclusivement allaités qui avaient reçu de la vitamine K per os à la naissance ; ils ont retrouvé des taux significatifs chez 4 enfants sur 262 à 4 semaines, et chez 15 enfants sur 131 à 12 semaines ; la PIVKA-II n' était pas détectée à 4 et 12 semaines chez les enfants qui recevaient de la vitamine K per os toutes les semaines. Toutefois, les adultes en bonne santé ont des taux sériques moyens de PIVKA de moins de 0,13 UA (unités arbitraires) par ml. Dans la mesure où il n'existe pas de consensus en ce qui concerne le taux normal, il est difficile de comparer entre eux les résultats de toutes ces études.

La prophylaxie chez le nourrisson

Actuellement, il est recommandé de donner à tous les nouveau-nés de la vitamine K à la naissance, de préférence par voie parentérale. Toutefois, de vives controverses existent encore sur cette prophylaxie.

Le risque de cancer

Une étude anglaise avait soulevé le problème du risque lié à l'injection IM de phylloquinone. Les auteurs rapportaient une augmentation significative de l'incidence des leucémies lymphoïdes aiguës chez les enfant ayant reçu la vitamine K en IM par rapport à ceux l'ayant reçu per os ou n'en ayant pas reçu (ratio 2,65) ; ils notaient aussi une augmentation significative de divers autres cancers infantiles chez ces enfants (ratio : 1,97). Cette étude, bien conduite sur le plan méthodologique, présentait toutefois une faiblesse majeure : les enfants suivis vivaient dans une zone très restreinte. Aucune étude portant sur un échantillonnage national de la population, en Angleterre ou dans d'autres pays, n'a permis de retrouver des résultats similaires. Très peu de recherches ont été faites sur l'éventuel potentiel carcinogène de la vitamine K1, et les travaux les plus récents en la matière donnent des résultats contradictoires ; on ne peut exclure la possibilité que ce soit l'excipient utilisé et non la vitamine K1 elle-même qui ait l'impact mutagène trouvé par certains auteurs.

Quelle prophylaxie ?

Indiscutablement, l'injection IM de vitamine K abaisse la prévalence de la maladie hémorragique du nourrisson. Une dose unique de 1 mg de vitamine K en IM induit un pic plasmatique de vitamine K environ 1000 fois supérieur à la normale observée chez les adultes. Une telle dose n'est certainement pas nécessaire pour prévenir la maladie hémorragique. La prophylaxie orale semble tout aussi efficace pour prévenir la maladie hémorragique précoce, mais semble l'être moins pour prévenir la maladie hémorragique tardive. Des études ont montré que la biodisponibilité de la phylloquinone est nettement plus basse après administration per os qu'après administration en IM. Et la biodisponibilité de la phylloquinone est aussi très variable suivant les diverses préparations orales. Il semble donc que des doses répétées de vitamine K per os sont nécessaires pendant les 2 premiers mois chez les enfants exclusivement allaités et chez les enfants « à risque » (maladie hépatique, diarrhée...) ; mais l'on se heurte alors, comme dans toute administration répétée, au problème de la compliance.

Il existe d'autres alternatives pour prévenir les carences en vitamine K chez les enfants allaités, et particulier le don de vitamine K à la mère. Bien que peu d'auteurs se soient penchés sur cette possibilité, il est très possible d'augmenter le taux de vitamine K du lait de cette façon. La prise quotidienne de petites doses ne semble pas avoir un impact significatif, mais des doses quotidiennes de 2,5 mg à 5 mg per os ont permis d'augmenter notablement le taux lacté de vitamine K ; les enfants de ces mères avaient des apports en vitamine K similaires à ceux des enfants nourris au lait industriel. A la lumière de ces découvertes, il est probable que, dans les années à venir, ce type de prophylaxie deviendra le plus recommandé chez les enfants allaités.

Les prématurés

La vitamine K n'est que l'un des traitements préconisés pour la prophylaxie des hémorragies intraventiculaires chez les prématurés. La genèse de ce problème spécifique est multifactorielle, et l'immaturité des mécanismes physiologiques responsables de la coagulation n'est probablement que l'un des facteurs en cause. Certains ont avancé la possibilité de l' administration à la mère d'une dose importante de phylloquinone pendant le déroulement de l'accouchement prématuré. Toutefois, les études faites sur le sujet n'ont pas donné les résultats espérés, et il semble actuellement que la carence en vitamine K ne joue pas un rôle prépondérant dans la survenue de cette pathologie.

Conclusion

La maladie hémorragique du nourrisson reste un problème en pédiatrie. La vitamine K administrée en IM abaisse significativement la prévalence de cette pathologie, y compris chez les enfants exclusivement allaités chez qui le risque est plus élevé. Les recherches à venir doivent se tourner vers la possibilité de détecter rapidement les enfants « à risque » de maladie hémorragique, et vers la recherche d'alternatives fiables à l'administration IM chez les nouveau-nés.

 

Améliorer le statut de la vitamine K chez les enfants allaités en supplémentant la mère

Improving the vitamin K status of breastfeeding infants with maternal vitamin K supplements. Greer FR; Marshall SP; Foley AL; Suttie JW. Department of Pediatrics, University of Wisconsin, Madison, USA. Pediatrics, 1997 Janv, 99:1, 88-92

Le but de cette étude était de voir dans quelle mesure le don de phylloquinone à la mère allaitante était susceptible d'augmenter le taux lacté de cette vitamine, de façon à amener le taux sérique des enfants à une valeur similaire à celle obtenue chez les enfants nourris au lait industriel.

Elle a été effectuée en 2 étapes. La première consistait en une étude longitudinale randomisée pendant 6 semaines ; la seconde était une étude longitudinale, randominée, en double aveugle avec placebo pendant 12 semaines. Les femmes ont été recrutées dans la clientèle d'un cabinet privé de pédiatrie de Madison (Wisconsin, USA).

Pour la première phase, 20 femmes allaitantes ont été étudiées afin de voir quelle était la posologie de vitamine K la plus intéressante à étudier en phase 2. 10 mères ont reçu quotidiennement 2,5 mg/jour de phylloquinone, les 10 autres ont reçu 5 mg/jour de phylloquinone. La phase 2 a suivi 22 mères ; tous les enfants avaient reçu à la naissance 1 mg de phylloquinone ; 11 mères ont reçu 5 mg/jour de phylloquinone, les 11 autres ont reçu un placebo.

En phase 1, le taux lacté de phylloquinone était significativement augmenté à 2 et 6 semaines chez toutes les femmes. L'augmentation du taux lacté était particulièrement importante avec une posologie quotidienne de 5 mg (58,96 ± 25,39 ng/ml contre 25,12 ± 12,18 ng/ml à 2 semaines). En phase 2, les mères supplémentées avaient des taux sériques et lactés significativement plus élevés que les mères recevant le placebo. Les apports de leurs enfants étaient considérablement plus élevés (9,37 ± 4,55 µg/kg/jour contre 0,15 ± 0,07 µg/kg/jour), ainsi que leurs taux sériques de vitamine K (2,84 ± 3,09 ng/ml, contre 0,34 ± 0,57 ng/ml à 12 semaines). Le taux de prothrombine était similaire dans les 2 groupes, mais la PIVKA-II sérique (prothrombine incorrectement carboxylée, dont le taux est un indicateur de la carence en vitamine K) était significativement plus élevée dans le groupe placebo (1,48 ± 1,19 ng/ml contre 0,42 ± 0,55 ng/ml).

Chez des enfants exclusivement allaités ayant reçu à la naissance une injection prophylactique de phylloquinone, le statut de la vitamine K était considérablement amélioré par la prise maternelle de 5 mg/jour de phylloquinone pendant les 12 premières semaines.

 

Les questions que soulève la supplémentation systématique en vitamine K

Treating all babies with vitamin K : an « unnatural » policy ? J Slattery. Br J Obstetr Gycaecol 1996 ; 103 : 400-01.

Dans la plupart des pays industrialisés, des populations entières de nourrissons en bonne santé reçoivent de la vitamine K à la naissance afin de prévenir la maladie hémorragique. Or, cette supplémentation en routine possède une point faible : ses avantages sont connus, mais pas ses risques. Un des arguments avancés pour justifier cette supplémentation est que tous les bébés sont plus ou moins carencés en vitamine K. Pourtant, le Pr. Goldman avait écrit, en 1992 : « il me semble anormal de considérer que l' évolution a permis la carence systématique en vitamine K chez les nourrissons normaux et nés à terme ».

En premier, examinons de plus près le parti-pris qui veut que les bébés soient carencés en vitamine K à la naissance. Cette assertion amène une question : à quel groupe a-t-on comparé les bébés pour conclure qu'ils étaient carencés ? Comparer le statut de la vitamine K de nourrissons à celui d'adultes peut être totalement inadapté : les différences de tous ordres entre adultes et nourrissons sautent au yeux. Normalement, pour définir la « normalité », on doit étudier une population représentative de la catégorie dont on veut définir les normes. De ce point de vue, il est logique d'estimer que le taux le plus souvent rencontré pour une substance dans une population étudiée est le taux optimal (à savoir ici le taux moyen de vitamine K rencontré dans une population de nourrissons à terme et en bonne santé), des valeurs plus basses et plus hautes pouvant présenter des inconvénients. La démarche thérapeutique habituelle est de tenter d'amener les personnes se situant aux extrémités pour les ramener vers la norme. Par contre, supplémenter systématiquement des enfants en bonne santé représente une démarche opposée : les éloigner de ce qui est probablement la norme chez les nourrissons.

Nous pourrions partir du principe que les taux de vitamine K sont adéquats à la naissance, mais qu'ils cessent rapidement de l'être par la suite. Mais si les enfants avaient besoin de grandes quantités de vitamine K, le lait maternel (qui, rappelons-le, représente la norme alimentaire pour le petit humain) en contiendrait de grandes quantités. Par exemple, la sélection naturelle aurait privilégié les mères dont les caractéristiques génétiques induisent un taux lacté plus élevé de vitamine K. Or, au contraire, le lait maternel contient naturellement peu de vitamine K, et les enfants exclusivement allaités ont des taux sériques plus bas de vitamine K que ceux nourris au lait industriel. Quelqu'un s'est-il jamais demandé s'il n'y avait pas une raison à cet état de fait ?

Tout ce que nous savons actuellement, c'est qu'un taux trop bas de vitamine K peut poser des problèmes. Par contre, nous ignorons à peu près tout des problèmes que peut poser un taux trop élevé. Pour tenter de supprimer un risque faible, nous exposons des populations entières d'enfants à un risque dont nous ignorons tout. Ces arguments suggèrent que la vitamine K est le plus souvent donnée abusivement. Le seul moyen de sortir de cette impasse serait de faire une étude de masse rigoureuse sur la vitamine K. En l'absence d'une telle étude, une autre possibilité est de chercher à déterminer quels sont les facteurs de risque pour la maladie hémorragique, et de limiter la supplémentation aux enfants présentant ces facteurs. Jusqu' à maintenant, il semble que nous n'avons guère eu de succès dans ce domaine. Nous avons donc absolument besoin d'études sur le sujet.